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Du côté de Clio

La femme auteur

26 Février 2015, 10:04am

La femme auteur

"Je vous entends ; vous pensez qu'une femme, en devenant auteur, se travestit aussi, et s'enrôle parmi des hommes." (p. 25)

La femme auteur, Mme de Genlis (1806)

Mme de Genlis est une figure importante de la fin du XVIIIe et le début du XIXe en France ; elle a écrit de très nombreux ouvrages, et fut notamment choisie comme "gouverneur" des enfants d'Orléans avant la Révolution, c'est-à-dire qu'elle était chargée de leur éducation. Son oeuvre considérable est aujourd'hui presque oubliée, ce qui est bien dommage si l'on en juge de par la qualité de sa nouvelle La femme auteur. Il ne faut pas oublier que le XIXe est une période difficile pour les femmes, et encore plus si elles écrivent (d'ailleurs, les "femmes auteurs" ne seront réellement "acceptées" que deux siècles plus tard). Dans cette courte histoire, Mme de Genlis mêle récit sentimental et récit théorique, sur la place que peuvent occuper ces femmes qui se marginalisent par leur écriture. La partie de l'intrigue amoureuse peut se rapprocher de La princesse de Clèves, écrite par Mme de La Fayette en 1678 de part son écriture et les rapprochements de son histoire, certes inversée. Rien d'étonnant, puisque Mme de Genlis se passionne pour le classicisme du XVIIe et refuse la modernité des romantiques.

Nathalie et Dorothée sont deux soeurs orphelines, élevées au couvent. Nathalie a la passion d'écrire et Dorothée l'invite à se méfier, surtout si elle en vient à publier ses écrits. Dans son cercle aristocratique, Nathalie connaît M. de Germeuil courtisé et courtisant Mme de Naugis ; très vite, il tombe sous son charme. Nathalie, pour aider une famille emprisonnée, décide de publier l'un de ses manuscrits : c'est le succès immédiat, mais l'attitude de M. de Germeuil à son égard change.

J'ai beaucoup aimé l'écriture de cette nouvelle, tout à fait classique et qui me comble toujours. Mais le sujet pose un paradoxe : Mme de Genlis brosse une critique de Nathalie en femme auteur alors qu'elle-même écrit cette nouvelle. A travers son apparente condamnation, elle opère donc une mise en abyme de sa propre activité. L'auteur pose aussi sa critique de Nathalie en la dévalorisant face à sa soeur, qui elle est beaucoup plus heureuse (bien que moins belle...) car elle respecte les us et coutumes attendus d'une femme. L'histoire d'intrigues amoureuses est certes un peu niaise, mais servie par une bonne réflexion, très intéressante sur le sexisme et la misogynie. J'ai beaucoup aimé les réflexions sur l'amour aussi, sur les codes du sentiment amoureux ainsi que les petites pointes ironiques dissimilées dans tout le texte.

A la fin de sa vie, Mme de Genlis défendit les femmes contre tout ce qui leur était imposé et elle imagina qu'un jour, peut-être, elles pourraient écrire librement et même devenir critiques littéraire. Elle voulut aussi que les jeunes filles aient une bonne éducation, car à l'époque seuls les hommes pouvaient être instruits, ce qui ne permettait pas au sexe féminin de rivaliser dans le domaine du savoir et de la culture.

Une histoire d'amour au XIXe couplée à une passionnante réflexion sur la femme auteur, grand débat lors de cette période contemporaine.

Extrait
"- Je pense comme vous. La condition des femmes est, ainsi que toutes les autres, heureuse quand on a les vertus qu'elle demande ; malheureuse, quand on se livre aux passions violentes, à l'amour qui nous égare, à l'ambition qui nous rend intrigantes, à l'orgueil qui nous corrompt et nous dénature. L'homme qui désirerait être une femme serait un lâche, la femme qui voudrait pouvoir devenir une femme ne serait déjà plus une fe
mme.

- Oui, nous ne devons pas nous plaindre, notre sort est fait pour être si paisible, nos devoirs sont si doux !...

- Ne faites donc jamais imprimer vos ouvrages, ma chère Nathalie ; si vous deveniez auteur, vous perdriez votre repos et tout le fruit que vous retirez de votre aimable caractère."

(Folio, p.27)

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