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Du côté de Clio

Entre elles. Les marginales de l'amour

4 Janvier 2016, 14:55pm

Entre elles. Les marginales de l'amour

"Nous étions marginales, préservées des erreurs banales." (p. 113)

Entre elles. Les marginales de l'amour, de Michelle Coquillat (1995)

Marianne et Pauline, Pauline et Isadora, Françoise et Laura, Roberte et Larissa, Roberte et Rosemary : autant de femmes qui s'aiment et qui se déchirent. Marianne les observe, elle qui vit une idylle si parfaite depuis dix ans avec Pauline. Elle est persuadée que son bonheur et pur, éternel, que sa moitié la complète. Pourtant, on ne sait jamais ce que la vie peut nous réserver...

Michelle Coquillat s'intéresse beaucoup au droit des femmes et a beaucoup écrit sur ce sujet ; elle est notamment l'auteure de La Poétique du mâle (1982), où elle analyse l'injuste domination masculine depuis la nuit des temps. Elle a aussi écrit un autre essai, Romans d'amour (1988) où elle analyse le rôle des héros masculins dans les romans de gare. Entre elles. Les marginales de l'amour n'est plus un essai mais bien un roman. Cependant, on comprend que la part d'autobiographie est importante puisqu'elle s'inspire notamment de son métier de professeur de faculté pour camper le décor de ses personnages.

De plus, le travail est totalement introspectif : Marianne, la narratrice, analyse sa propre rupture à la lumière de celle de ses amies. Les doutes et la culpabilité sont très bien analysés et marquent le début de la tromperie. Les amours présentés sont tous lesbiens, et la narratrice ne semble jamais poser de jugement sur les différents couples. Elle tente de montrer fidèlement le processus du désir de quelqu'un d'autre, qui peut être une jeune étudiante de vingt ans qui pousse au divorce un homme de cinquante ans. Laura a séduit Françoise, sa prof. Mais ce livre agit aussi comme une réflexion sur l'homosexualité face à l'hétérosexualité : certes, il se base essentiellement sur le couple en lui-même, mais il esquisse aussi, par moment, la vie bien compliquée qu'on vécu ces femmes qui aiment les femmes au siècle dernier (est-elle si différente de celle d'aujourd'hui ?). Le témoignage est fort, puissant, courageux, juste. La trahison apporte souvent à l'autre des malaises profonds qui la font chanceler. Mais l'autre tente toujours de se relever, courageuse face à cette double douleur : d'être différente, et d'avoir été rejetée par l'être qu'elle aimait le plus. Personne ne peut échapper à l'abandon, même pas les femmes qui aiment les femmes, ces "semi-clandestine[s] [...] : marginales, exclues, ignorées" (p.63).

Un très bon manuel de survie face à la tromperie de l'autre aimée

Extrait

"Je ne sais pourquoi, continuait-elle, j'avais toujours pensé que les femmes ne tuaient pas, puisqu'elles donnent et conservent la vie. Annuler une existence, marcher sur les cendres du feu que l'on a allumé soi-même, souffler sur l'autre qui vous gêne comme sur une poussière, réduire à néant la vie d'une femme aimée en faisant soudain comme si elle n'existait pas, la forcer dans le vide comme on force un animal, je croyais que c'étaient des jouissances d'hommes. Je croyais que les hommes trahissaient, puisque c'est bien cela trahir, n'est-ce pas, c'est évacuer l'autre comme une eau sale, mais les femmes, enfin les femmes vraies, en étaient incapables par détestation de donner la mort."

Edition Albin Michel, p. 111.

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