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Du côté de Clio

Vernon Subutex 1

7 Février 2015, 08:42am

Vernon Subutex 1

Le tout nouveau Despentes....beaucoup moins trash !

Vernon Subutex 1, de Virginie Despentes (2015)

"Qui est Vernon Subutex ? Une légende urbaine. Un ange déchu. Un disparu qui ne cesse de ressurgir. Le détenteur d'un secret. Le dernier témoin d'un monde révolu. L'ultime visage de la comédie inhumaine. Notre fantôme à tous" (quatrième de couverture de l'édition Grasset). Oui, Vernon Subutex est bien tout ça à la fois : un prince du rock des années 80, aujourd'hui déchu. Il était disquaire lors des années fastes, mais à cause d'Internet et du développement du téléchargement massif, il a été obligé de plier boutique. Plus de boulot, plus de toit : il se retrouve à la rue, et va alors tenter de trouver refuge chez ses anciens potes, en alternant. Tout le monde est à sa recherche, il détient les dernières déclarations gravées d'une rock star, l'un de ses meilleurs potes qui vient de s'éteindre, Alex Bleach.

D'habitude, je ne suis pas du genre à me ruer sur les dernières parutions de livres, d'autant plus en grand format. Pour Virginie Despentes, c'est un peu différent. Qui ne connaît pas Virgine Despentes ? Celle qui a commencé comme écrivain avec le très sulfureux Baise moi qui raconte l'épopée de deux jeunes filles n'ayant aucune limite. Celle qui n'a depuis cessé d'écrire, qui a publié un excellent manifeste féministe, King kong théorie (2006) où elle se positionne face à la pornographie, la prostitution, ou encore le viol, qu'elle a elle-même subi. Virginie Despentes était dans le rock des années 90. 20 ans après, à 45 ans, elle s'est assagie, et dresse en quelque sorte le bilan sur cette époque avec son tout nouveau roman fleuve, Vernon Subutex 1, de presque 400 pages, premier tome d'une trilogie (le deuxième tome sortira en mars). J'avais entendu quelques critiques, j'avais été prévenue : le dernier né ne serait pas aussi trash que les précédents. Dommage... La rock & roll attitude est toujours là, sex drugs et alcool à flots, mais plus de partouzes géantes comme cela était encore le cas dans Apocalypse bébé (2010). D'ailleurs, les lecteurs de ce roman reconnaîtront "La Hyène", encore présente, qui part aussi à Barcelone, comme un clin d'oeil de la part de l'autrice à son dernier roman.

Vernon Subutex 1 est intéressant par sa forme : le fil conducteur serait donc la mort d'Alex et à partir de là, une multitude d'histoires se crée, à travers une multitude de personnages. Le livre est découpé en chapitres sans numéro, et d'un chapitre à l'autre, le point de vue change sur une même scène : Sylvie est amoureuse de Vernon qui la comble totalement sexuellement même s'il est un peu crade, et le chapitre d'après Vernon explique qu'il n'en peut plus d'elle. L'histoire n'est pas dénuée d'humour, et est plutôt très bien menée. Les thèmes abordés sont contemporains : Gérard Depardieu en Russie (si si), l'islam et la radicalisation des jeunes, Stromae, et même Vincent Rottier (l'acteur des Diables) !! Ces références contemporaines m'ont quelque peu déstabilisée ; je suis plutôt habituée à lire des romans des siècles précédents. Evidemment, et c'est ce que j'aime chez Despentes, elle donne quelques petites polémiques sur un peu tous les sujets, ce qui est lui est rendu possible grâce à la multiplication des focalisations. Son style est toujours aussi accrocheur, autant dire que le livre se dévore littéralement. Je me suis perdue, cependant, dans tous ces personnages, peut-être un peu trop nombreux : certes, elle tente de percer l'âme humaine, de toutes les couches sociales (bobos à SDF, trader à scénariste, "hétérotes" à "gouine" en passant par les travestis et les trans-ex-star du porno). Mais finalement, on finit par en perdre notre latin.... J'ai adoré ses néologismes aussi, du genre "hétérote" pour critiquer les hétérosexuels de la bouche d'une lesbienne, ou "Kebabcity", et bien d'autres encore.

Franchement, même si j'ai été déçue que Despentes se conforme à tout ce qu'elle paraissait rejeter (le politiquement correct, l'industrie capitaliste du livre (3 tomes quoi !)), j'ai pris mon pied en dévorant ces 400 pages en presque une journée. L'écriture est juste parfaitement rageuse et tranchante, elle ne laisse aucune salvation à tous ces personnages faux ; de ce groupe s'extrait Vernon et quelques autres, comme Olga, la petite SDF. La critique de notre société TV-Internet-égocentrique est virulente, et jouissive grâce à l'oeil aiguisé de Despentes. Personne ne se sauve, chacun de nous peut se sentir attaqué par la plume de l'autrice.

Extrait

"Ce n'est pas difficile de tomber amoureux. D'abord, son regard braqué sur lui, la veille, sa jeunesse et une légère insolence, sans vulgarité, juste de quoi exciter la curiosité. Puis sa façon d'être droite, une envie de toucher son dos, de poser les lèvres partout à l'intérieur de ses cuisses, puis le grain de sa voix, la lueur amusée quand elle lui parle, quelque chose un tout petit peu précipité dans son débit - rien qui grince. Et cette facilité, inconsciente, qui lui vient d'être si jeune - ne rien connaître encore des coups qui la briseront, par endroits. Passé quarante ans, tout le monde ressemble à une ville bombardée. Il tombe amoureux quand elle éclate de rire - au désir s'ajoute une promesse de bonheur, une utopie de tranquillités emboîtées-, il suffira qu'elle tourne la tête vers lui et se laisse embrasser, et il accèdera à un monde différent. Vernon sait faire la différence : excité, c'est le bas-ventre qui palpite, amoureux, ce sont les genoux qui faiblissent. Une partie d'âme s'est dérobée - et le flottement est délicieux, en même temps qu'inquiétant : si l'autre refuse de rattraper le corps qui sombre dans sa direction, la chute sera d'autant plus douloureuse qu'il n'est plus un jeune homme. On souffre de plus en plus, à croire que la peau émotionnelle devient plus fragile, ne supporte plus le moindre choc."

(p.98-99, Edition Grasset)

Virgine Despentes : encore et toujours maître pour sonder l'humanité !

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